6 octobre 2022, colloque pluridisciplinaire et inter-axes :
No pain no gain ? Regards croisés sur les nouvelles fatigues sportives
Le programme complet est disponible ici.
Compte rendu de la journée
Plus de 200 personnes ont assisté le 6 octobre 2022 à l’ENSMM/Supmicrotech à ce colloque pluridisciplinaire qui a réuni des chercheurs, des entraineurs et des sportifs pour réfléchir sur les différentes formes de fatigue que nous devons affronter quotidiennement.
Georges Vigarello nous apprend que les symptômes de la fatigue se sont modifiés au cours des siècles, les mots se sont ajustés pour la qualifier, des explications se sont déployées, des degrés ont été inventés, associés à des revendications de plus en plus précises. Invisible ou presque dans les représentations picturales des peintures de sport du XVIIIe au XXe siècle, comme le soulignent Christian Vivier et Jean Yves Guillain, le ressenti de la fatigue du sportif est pour Yann Descamps souvent évoqué dans les mangas comme une injonction au dépassement de soi. Juliette Taka illustre quant à elle dans sa bande dessinée Pole Dance : Ma vie en équilibre les effets à la fois positifs et délétères de la pratique de la pole dance sur le corps qui finit par céder et invite à la modération. Mais la modération ne signifie pas pour autant l’arrêt de l’activité physique car avec l’arrivée de la Covid-19, Annie Lasne nous apprend que la fatigue mentale est devenue une compagne familière auprès des étudiants avec pour cause et/ou pour conséquence une diminution importante du temps consacré aux activités physiques et sportives. En réponse à nos modes de vie occidentaux de plus en plus éloignés de la nature, Frédérick Guyon présente une alternative pour lutter contre la fatigue mentale avec la sylvothérapie ou shinrin yoku. Cette activité qui consiste à cheminer librement dans un espace forestier permettrait de renouer nos liens profonds avec la nature par un ensauvagement du corps.
Mais la fatigue mentale peut s’installer aussi là où on ne l’attend pas : au sein du peloton des coureurs cyclistes professionnels. Alors que les coureurs de haut niveau bénéficient d’un suivi scientifique hyper rationnalisé des charges de travail, Olivier Aubel en dévoile les effets pervers qui renforcent la discipline des corps et celle des esprits au point d’en déposséder leur propriétaire. Jean Baptiste Quiclet confirme ces propos en évoquant la présence au sein du peloton de sources de fatigues additionnelles liées notamment aux méthodes d’entraînement de plus en plus intrusives et à l’environnement. Toujours dans le milieu du cyclisme, Fred Grappe place la gestion de la fatigue comme un enjeu central de la performance sportive en insistant en particulier sur l’importance du ressenti de l’athlète comme un indicateur pertinent ou une soupape de sécurité à ne pas négliger. A cet effet, Victor Scholler propose la mise en place d’un entrainement mental basé sur l’analyse de l’activité électrique du cerveau pour améliorer la gestion de la fatigue aigue en cyclisme. Par ailleurs, la fatigue exprimée par le sportif en compétition est parfois l’objet d’enjeux médiatiques surprenants comme le soulignent Maxence Picot et Sébastien Laffage-Cosnier qui ont mis en lumière comment le journal L’Équipe utilise la souffrance et l’épuisement de Thibaut Pinot, coureur cycliste professionnel, comme un catalyseur d’empathie du public.
Du côté des sports collectifs, Pierre Terzi évoque la complexité à faire face à l’augmentation exponentielle du nombre de compétitions nationales et internationales tout en préservant le niveau de performance des joueuses de handball de l’équipe de France. Jeanne Dury ajoute que la fatigue, en sports individuels ou d’équipe, modifie les composantes physiologiques et biomécaniques du mouvement et constitue ainsi un facteur de risque de blessure important.
Pour résumer, qu’elle soit observable ou invisible, physique ou mentale, centrale ou périphérique, la fatigue est devenue, semble-t-il, un phénomène protéiforme qui se nourrit autant de nos forces que de nos faiblesses. Plutôt que d’essayer vainement de la combattre, ne devrions-nous pas tenter tout simplement d’en faire une alliée précieuse qui nous aide à fixer la frontière parfois ténue entre l’extrême et l’excès…?
